QUI MANGE QUI ?
Avec ses crayons de couleur, John Fou, poursuit sa chevauchée fantastique, emportant mains, plumes, crinières, feuilles d’arbres dans l’antre de toutes les métamorphoses, là où comme chez Ovide, les dieux et y vivent pêle mêle avec les animaux. Son atelier est une scène nomade, son corps se plait à y décomposer tous les gestes, à les modéliser dans une sorte de combat entre l’homme et ses chimères. Il fut danseur, le voici qui chorégraphie ses rêves et fait émerger ses figures libres, à la lisière de la réalité et de l’invisible, de la morphologie et de l’imaginaire. « Assembleur de rêves » ? C’est ainsi que se définissait Gustave Moreau. De l’homme crocodile au Saint George terrassant un dragon, chacune de ses œuvres porte la trace d’un combat avec lui-même. Ce qu’il donne à voir, il le prélève dans la chair d’une apparition, là où justement l’animal, l’humain et le végétal s’adonnent à toutes les hybridations d’un monde en devenir. John Fou y ajoute celui de l’enfance et de ses monstres fabuleux, ses sirènes et ses centaures, un émerveillement inquiet, une joie orange et solaire contrariée par les cornes et les boucs, les verts et les violets. Nous voici emportés du côté de ces chimères échappant à toutes les typologies allégoriques. Les compositions s’ordonnent dans une sorte de mouvement ininterrompu, un éden-enfer en gestation. Arabesques, jetés, lancés projettent dans l’espace des caresses et des griffes surgis du chaos originel autant que d’un monde intérieur, bouillonnant, prêt à toutes les renaissances. La question demeure, ouverte à tous les possibles. Qui mange qui ?
Laurence Benaïm