Portraits de Mars à Septembre

People are strange

J’ai connu Jonathan alors qu’il était comédien et danseur chez Yves-Noel Genod. Nous nous sommes recroisés dans des théâtres, nous nous sommes mieux connus, puis avec le temps j’ai appris qu’il faisait aussi des choses de ses mains, qu’il cherchait de ce-côté-là. Des tags sur des murs au début, depuis l’époque du lycée, comme une certaine façon de vivre dans les marges, d’écrire dedans et dehors, hors des lignes instituées… puis des tatouages, puis des peintures étranges et colorées, un peu naïves, des dessins et des peintures avec toujours cette drôle de forme de corps humains, toujours la même mais protéiforme, des variationssur un même thème, comme une différence entre l’identique et le même, des membres encastrés, enchevêtrés, mouvants. Les peintres ont des périodes. 

J’avais déjà un premier tatouage (des lettres sur mes doigts), j’avais envie d’un autre « marquage »… j’ai demandé à John (c’est comme ça que je l’appelle, John Fou) de m’en faire un sur le plexus solaire, comme ça, ce qu’il voulait, un dessin original : Tu as carte blanche. J’ai aimé l’expérience de me laisser faire (être marqué) sans savoir quel serait le dessin, c’était « quelque chose» entre la confiance et l’abandon…

Depuis je suis John Fou, du verbe suivre, de près ou de loin, et je suis heureux de le voir tracer son sillon, avec discrétion et humilité, entêtement, je vois quelqu’un qui cherche et qui trouve de plus en plus, je trouve. 

Cette expo le révèle comme peintre, pas un comédien ou un danseur à la retraite qui toucherait aux arts plastiques le dimanche, non un peintre à part entière.

Inventer la forme dans le sens premier du verbe qui est trouver, rechercher tant bien que mal dans la souffrance de la composition, dans ses joies aussi, soudaines, quand il y a fulgurance, Fiat Lux, quand c’est ça et qu’on sait que ça ne peut être que ça, que tout s’agence et se combine, les couleurs et les douleurs : « Et Dieu vit que cela était bien »…

Jonathan dit que c’est en découvrant les portraits d’Alice Neel à New-York que le déclic s’est fait. Les bouleversants visages d’Alice Neel lui ont aussitôt fait penser à «une gueule d’Yves-Noël ».

L’acte de création comme un rêve, un désir, mélangé à de l’imagination ? Ce serait comment si je le faisais ? 

Jonathan regarde le monde, avec un regard que je dirais « premier » de la même façon qu’il y a les arts premiers ou les couleurs primaires, il en découle un fait pictural, c’est-à-dire une apparition aussi simple que complexe, qui n’a pas besoin d’explication. Le fait est que c’est là et qu’il y a un tableau, qui nous regarde, que nous regardons. 

Car regardez bien ces visages et ces corps, retenez ces décors et ces textures de peau, ne sont-ils pas tout à fait : « là » ? Ils n’ont rien de spécial à dire mais voyez comme ça parle ! Ça parle tant et tout le silence autour n’est plus absence de son ou de voix, de bruits, mais valeur positive, habitée, silence plein. 

« People are strange » finalement, very strange, et parfois c’est beau comme dans la chanson des Doors.

Texte : Olivier Steiner